Règlement local de publicité de Troyes, c’est parti : après un an de concertations et de nombreux remaniements, l’enquête publique démarre ce lundi 22 octobre. Tous les documents sont en ligne. L’article qui suit est un développement de notre analyse du texte. Un nouvel article, plus concis, viendra très prochainement proposer des arguments à déposer dans le registre et les modalités de participation à l’enquête.
La publicité modifie nos comportements. C’est bien le but, et cette lapalissade n’en demeure pas moins une réalité que l’on souhaite ignorer – moi, ça ne me fait rien, moi je ne la vois même pas. Eh bien soyons honnêtes : même nous militants, vigilants, résistants, le gros plan du bébé épanoui, des frites parfaitement grasses, la poitrine rebondie, la bière si fraîche… ça nous fait envie. Et ce sont d’autres paramètres devant lesquels nous ne sommes pas égaux (l’éducation, les moyens, etc.) qui vont faire barrage au passage à l’acte d’acheter. La pub, ça marche sur tout le monde, tout le monde reçoit le message.
Alors, quand en septembre 2017, la Ville de Troyes se contentait de quelques lignes dans le Press’Troyes pour informer sur la concertation autour de son règlement de publicité, n’était-ce pas un brin désinvolte ? Comme si ce RLP ne concernait que les commerçants et les afficheurs (qui eux, ont été largement consultés), et ne pouvait avoir aucune incidence sur le quotidien de… toutes les personnes qui traversent ses rues !
C’est un détail de la procédure, mais il a son importance, et dit bien le peu de considération que Troyes a envers ses administrés et sa désinvolture envers sa responsabilité de législateur.
Le fond et la forme…
Soyons clair : la loi interdit d’interdire la publicité, donc ne demandons pas l’impossible à Troyes.
De même, la Ville ne peut donner de prescriptions quant au contenu des publicités. Elle souhaiterait certainement des affiches jolies, ou des pubs pour des commerçants locaux, ou du noir et blanc, ou de la pub pour des aliments sains… mais non, elle ne peut rien dire quand elle voit, exposée dans ses rues, sur 12 m² une femme, le doigt sensuellement posé sur les lèvres pour vendre une cuisine, rien dire devant des litres et des litres de sauce burger, ou des boissons alcoolisées manifestement destinées à la cuite estudiantine du jeudi soir, ou des prêts à la consommation permettant d’acheter la cuisine qui va avec la dame qui a le doigt sur les lèvres… Par contre, elle peut exiger que la dame ne fasse que 0,5, 2, ou 4 m², elle peut exiger que le burger soit éteint la nuit, elle peut interdire que la boisson soit affichée en vidéo. La Ville ne peut contrôler la qualité, le fond de la publicité qu’elle laisse exposer dans ses rues ; il ne lui reste plus qu’à jouer sur la forme, la quantité.
Notre analyse du texte, et ce que nous lui reprochons
Le futur règlement est découpé en deux parties : le volet publicités et le volet enseignes. Nous ne nous prononçons pas sur ce dernier, qui ne relève pas de nos compétences. Mais nous avons consciencieusement étudié les différentes versions du volet publicité, et on l’a vu évoluer en effet, depuis l’avant-projet de 2017… enfin, un tout petit peu dans le bon sens : l’extinction des publicités et enseignes, par exemple, sera imposée dès minuit et non plus 1 h du matin (évidemment, nous on avait demandé l’extinction dès la fermeture des commerces!) mais c’est déjà un geste en termes de lutte contre la pollution lumineuse, dont nous parlions il y a peu.
Un changement de taille : l’autorisation de la publicité aux carrefours…
Jusqu’à présent, le RLP affirmait que « la publicité est interdite à moins de 20 m des bords de chaussée », et dressait une liste de carrefours pour chacun desquels un certain nombre de panneaux était autorisé. Cette mention est jugée attaquable, donc la Ville a choisi de ne plus appliquer aucune restriction à proximité des bords de route (seulement la règle de densité selon la longueur de façade², qui est de 30 m de longueur de façade additionnée à un angle de rue), ce qui laisse craindre l’implantation de nombreux panneaux, notamment numériques.
Rappelons qu’un des objectifs posés, en 2017, à la mise en œuvre de ce chantier était « de privilégier la sécurité routière en limitant les signaux de toute sorte (…) aux abords des voiries routières ». Cet objectif a d’ailleurs disparu du nouveau rapport de présentation.
Pourtant, avec un peu de bonne volonté, il serait possible de maintenir une interdiction de fait, en jouant sur la règle de densité³, et de parvenir, sans alourdir le texte ni mettre en péril sa valeur juridique, à maintenir une certaine protection des usagers de la route. Légalement, il semble qu’on ne peut pas le dire, mais chacun reconnaîtra qu’un panneau numérique au bord d’une route représente un danger.
… un gros loupé : la réglementation de l’affichage numérique⁴…
Par rapport à la réglementation nationale, Troyes limite le numérique par :
-
le format (6 m² au lieu de 8 m² dans certaines zones)
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la distance (15 m minimum de tout bâtiment comportant des fenêtres)
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la densité (1 seul dispositif par unité foncière, et interdiction sur une unité foncière dont la longueur de façade est inférieure à 30 m).
Mais Troyes ne limite pas le numérique dans les zones protégées au titre du patrimoine industriel (les ZPPAUP, que nous évoquerons plus loin), ni même en secteur sauvegardé, puisque le texte l’autorise sur mobiliers urbains…
Or, faut-il encore le rappeler, le numérique, c’est
• une pollution visuelle et lumineuse: les écrans numériques sont une source de danger pour la sécurité routière, détournant l’attention des automobilistes. Ils participent à l’augmentation de la pollution lumineuse qui a des impacts négatifs sur la faune, la flore ainsi que sur les humains, en créant des troubles du sommeil. Ils sont incompatibles avec une réelle protection du patrimoine architectural troyen.
• une pollution énergétique et écologique : avec ces écrans, les publicitaires poursuivent un gaspillage énergétique sans précédent (quand on vous demande, par grand froid, d’adopter des comportements vertueux pour éviter les pics de consommation électrique, rappelez-vous que les pubs, elles, restent allumées le soir !) et pèsent dans la création de nouveaux déchets radioactifs, déchets trop bien connus dans l’Aube.
• une pollution cognitive et mentale : ces dispositifs, auxquels il est quasi-impossible d’échapper, nous imposent des messages aux images et aux normes agressives et néfastes. De plus, ils contribuent à une banalisation des écrans auprès des enfants, alors qu’ils sont considérés comme dangereux pour les plus jeunes… C’était un des arguments de notre lettre aux élus en juin, qui leur demandait d’interdire le numérique sur mobiliers urbains : les abris voyageurs sont les lieux où les familles attendent le bus, et il paraît inconcevable d’y laisser s’implanter de la pub vidéo… mais l’amendement n’avait pas été proposé. Le rapport de présentation nous explique en effet que la Ville de Troyes considère que le numérique peut « offrir de nouveaux services à la population dans le cadre de l’embellissement de la ville (informations pratiques ou touristiques) et de l’adaptation permanente offerte par ce support par exemple pour des événements (manifestations sportives, culturelles…) ». Soit, autorisons l’information municipale numérique, et interdisons la pub commerciale numérique !
Et puisque l’on parle de mobiliers urbains, le rapport recense 204 panneaux d’affichage existants (sur toute la commune de Troyes), 45 mobiliers urbains de 2 m2 (sur les axes d’entrée de ville, 31 mobiliers urbains de 8 m2 (sur les axes d’entrée de ville, 58 abris-bus avec affichage de 2 m2 (sur les axes d’entrée de ville).
Compte-tenu du fait que les abris-bus affichent deux publicités chacun, et que les autres mobiliers urbains sont tenus de n’afficher qu’une publicité (l’autre face étant, théoriquement, destinée à l’information municipale), il y a donc 192 publicités affichées sur mobiliers urbains sur le territoire… sur un total de 338 dispositifs, ça fait quand même une belle part du gâteau pour JC Decaux… Mais ne nous inquiétons pas, cette petite société ne fait pas dans le numérique ; pas de danger qu’elle cherche à placer des « contenus contextualisés pertinents pour toutes les campagnes digitales » dans nos rues !
Un point très important à noter à ce sujet : ce RLP, tout comme le code de l‘environnement, s’appuie sur un décret ministériel définissant des seuils de luminance et des seuils de consommation électrique pour encadrer les dispositifs numériques. Or ces seuils n’existent pas : depuis 2010, l’État ne parvient pas à fixer ces limites… autrement dit, si un dispositif est jugé éblouissant, agressif (pour reprendre les termes de M. Denis, adjoint à l’urbanisme), il n’y a aucune norme précise sur laquelle s’appuyer pour attaquer en justice : les publicitaires font ce qu’ils veulent.
… et un gros recul : publicité et patrimoine
Le code de l’environnement interdit la publicité dans les secteurs sauvegardés ; dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP) ; à moins de cent mètres et dans le champ de visibilité des immeubles classés ou inscrits parmi les monuments historiques (article l.581-8-I). C’est-à-dire que la publicité est perçue par le législateur comme une souillure sur le patrimoine.
Mais il faut croire qu’à Troyes ce n’est pas le cas, puisque la Ville, non contente d’autoriser la publicité en plein centre historique (jusqu’au pied de la cathédrale), prévoit avec ce nouveau RLP de déroger également à la protection en ZPPAUP. Désormais, celles-ci perdront leur spécificité au regard de la publicité : elles subiront les règles de densité correspondant à la zone du découpage dans laquelle elles sont situées. Autrement dit, le secteur Paix-Cottet, qui se trouvera en zone 4 (la plus permissive), sera simplement soumis aux règles du code de l’environnement : panneaux numériques de 8 m², un panneau autorisé par unité foncière, voire davantage si la parcelle fait plus de 40 m…
A ce sujet, l’État lui-même invite, dans son avis, « à retenir des normes plus restrictives que la réglementation nationale s’agissant des quatre quartiers couverts par la ZPPAUP (…) compte tenu de l’intérêt du bâti, (…) qui pourrait justifier une adaptation des règles relatives au format des dispositifs publicitaires ». Il nous paraît inconcevable que Troyes ne cède pas sur ce point, qui est absolument contraire au travail de qualification qu’elle a mis en œuvre depuis des années !
Mais pourquoi, finalement, autoriser davantage de publicités ?
La réponse est dans le rapport de présentation du texte : « les activités commerciales ou tertiaires (…) ont besoin de se signaler et de communiquer face à une forte concurrence du commerce en ligne et des zones marchandes périphériques. Il s’agit donc d’un enjeu d’équilibre économique du territoire entre le centre-ville et les zones périphériques. » Il fallait y penser :
LA PUB VA SAUVER LE CENTRE-VILLE !
Sauf que… regardez autour de vous, sur les abris-bus par exemple : c’est de la bière, c’est de la lingerie, c’est du parfum… et c’est surtout du hamburger ! Avec cet argument, surgi tout récemment, la Ville s’appuie sur une problématique à la mode pour justifier ce qui n’a rien à voir : c’est juste de la mauvaise foi.
Alors, quelles peuvent être les vraies raisons ? Les recettes fiscales liées à la taxe sur la publicité extérieure ? Celles-ci représentent 170 000 € par an ; ça fait des sous, mais pas tant que ça par rapport aux 42 millions de recettes fiscales de la Ville ! Il nous reste le poids des afficheurs, certainement, qui ont bien plus de facilités que nous pour dérouler leurs arguments ; l’orientation politique des élus, bien sûr… et le fait que ça ne passionne pas grand-monde !
Comme nous le disions, Troyes n’a pas la main sur le contenu des publicités qui s’affichent dans ses rues, pas même sur son propre mobilier urbain.
En rédigeant un nouveau RLP, elle a l’occasion de donner un véritable signal, de montrer qu’elle a pris la mesure de la pression publicitaire qui s’exerce partout, et qu’elle veut reprendre la main sur ses rues.
Et avec le texte en l’état, c’est raté. Quel dommage.
¹ Comme souvent dans l’administration, le texte est bourré d’acronymes ; nous avons tenté d’en utiliser le moins possible dans cet article, pour en faciliter la lecture…
² Le précédent RLP prévoyait une règle d’interdistance (60, ou 80 m minimum) entre 2 panneaux. La règle d’interdistance, jugée illégale, est remplacée par une densité par unité foncière : on autorisera 0, 1 ou 2 dispositifs selon la longueur de façade (= de terrain) qui donne sur la rue ; dans le cas d’un angle de rue, on additionne les différentes longueurs de façade. Les seuils de longueur fixés dépendent de la zone (20, 25 ou 30 m)…
³ D’abord en augmentant la longueur de façade minimum pour implanter un panneau, et ensuite en introduisant une proportionnalité de l’ordre du double entre le minimum exigé pour un seul côté et celui exigé pour un angle
⁴ Pour signer notre pétition demandant l’interdiction des écrans numériques, c’est ici
(1 commentaire)
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Je vous propose quelque chose que je fais déjà moi même: une liste noire de tout ce que je vois passer par écran numérique, en particulier au niveau des ronds points. Ce qui est le plus dommageable pour le consommateur, c’est de ne pas y faire attention et de se laisser manipuler par la pub et d’avoir l’impression d’aller naturellement acheter là ( alors qu’en fait c’est juste parce que la pub a stimulé nos neurones que nous allons là plutôt qu’à côté).
Perso, je m’oblige à noter toutes les pubs que je vois et à ne jamais mettre les pieds dans les enseignes concernées, et même à faire en sorte de faire de la contre publicité en disant autour de moi: « Comment ça, tu vas là? tu n’es pas au courant qu’ils font de la pub, entre autre de la pub numérique ?… TU t’es juste fait manipulé »…
Et comme je suis cycliste, je suis en première ligne quand je vois les conducteurs regarder les écrans dans les ronds points au lieu de leur rétro. c’est la mort au tournant !
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