Des mobiliers urbains numériques à Troyes, pour de vrai, et pour bientôt !

Les mobiliers urbains, ce sont tous les équipements et objets installés dans l’espace public pour satisfaire les besoins des usagers : les bancs, les poubelles, les WC publics… En France,  certains mobiliers peuvent accueillir de la publicité, mais seulement à titre accessoire : leur vocation première est d’abriter les voyageurs (abribus), d’informer sur les activités de la commune (sucettes d’information municipale) ou sur des événements culturels (colonnes Morris). De nombreuses communes choisissent de confier l’installation, l’entretien et la gestion de ces mobiliers à des sociétés qui se rémunèrent grâce aux recettes dégagées par la publicité. 
 
Ainsi à Troyes, le concessionnaire est actuellement « numéro un mondial de la communication extérieure », mais ce contrat de concession arrive à échéance et un appel d’offres a été lancé en septembre. Nous avons pu, avec difficulté, nous procurer le cahier des charges de l’appel d’offres… et nous n’avons pas été déçus !
 
 
« Le contrat porte sur la mise à disposition, l’installation, l’entretien, l’exploitation commerciale des abris voyageurs publicitaires et non publicitaires, de mobiliers urbains d’information municipale de 2 m², de 8 m², de mobiliers digitaux 2 m², de Journaux Electroniques d’Information (J.E.I.), de colonnes d’informations culturelles et de cabines sanitaires PMR sur le territoire troyen, dans les conditions définies au sein du présent contrat de concession. »¹
 
Nous ne nous étendrons pas sur les abribus équipés de borne wi-fi (c’est le progrès !) ni sur l’utilité d’envisager les dépose et repose d’équipements déjà installés et fonctionnels (c’est normal, paraît-il). Non, ce qui nous a sauté aux yeux c’est « mobiliers digitaux »… Voyons le détail :
« Le concessionnaire mettra à disposition 8 mobiliers urbains d’information numérique, neufs, simple ou double face en format portrait de 2 m² environ (surface vue), à pied unique, représentant un potentiel de faces d’affichages compris entre 8 et 16 faces ».

C’est parti ! Troyes entre dans l’ère du numérique : mettre 8 fois plus de pub sur un panneau, quel progrès !

 
Alors vous allez dire, 8 sucettes numériques, ce n’est pas grand-chose…

Mais symboliquement, c’est beaucoup, parce qu’on parle de plus en plus de pollution lumineuse, sans même évoquer la consommation d’énergie… parce que, depuis le lancement du projet de nouveau règlement de publicité de Troyes, la question de la publicité numérique ne cesse de faire débat, et que la Ville prétend avoir entendu les craintes des Troyens, notamment concernant la sécurité routière…

 

Sécurité routière, etc.

 
Justement, l’année dernière, un des objectifs du nouveau RLP était « privilégier la sécurité routière en limitant les signaux de toute sorte susceptibles d’interférer avec les conditions de circulation aux abords des voiries routières ». Sauf que selon la jurisprudence, il est illégal d’invoquer la sécurité routière pour réglementer la publicité. Logiquement, l’objectif a donc disparu du texte définitif, de même que l’interdiction de la publicité aux abords des carrefours. 
Alors, contrairement à ce qu’on pensait, la pub numérique ne distrait pas les automobilistes et ne met pas en danger les usagers de la route. Dont acte : parmi les emplacements pressentis pour les nouvelles sucettes numériques, on trouve l’îlot central de l’avenue Chomedey de Maisonneuve, ou le rond-point Wood et West, ou le quai Dampierre… des lieux à forte fréquentation automobile.
 
Et puis il faut bien le reconnaître, M. Denis, adjoint en charge de l’urbanisme, nous avait prévenus : Troyes veut du numérique pour faire de la « belle information dynamique de qualité pour les actualités municipales et culturelles ». Pour éviter la prolifération du numérique commercial, nous avions donc suggéré d’installer des panneaux avec une face numérique pour l’information municipale, et une face papier pour la publicité… Raté ! sur les panneaux à simple face numérique, c’est le contraire qui est prévu : le papier pour la Ville, la vidéo pour la pub…
 
« Pour les mobiliers présentant un recto et un verso numériques, le concessionnaire veillera au strict équilibre entre le temps d’exposition de l’affiche municipale et le temps d’exposition des affiches publicitaires. »
 
 
La bonne blague ! pendant des années, JCDecaux a délibérément enfreint la loi, juste sous les yeux de M. le Maire² (cf notre courrier du 19 octobre, grâce auquel JCDecaux est enfin rentré dans le rang). Avec de la publicité numérique, pour contrôler l’application du droit, il faudrait missionner un agent pour chronométrer le temps dévolu à chaque publicité en fonction des heures d’affluence… Mission impossible !
 
 

Un outrage à l’environnement !

 
Pendant la séance de Conseil municipal du 14 juin 2018, le même Valéry Denis avait reconnu que la publicité numérique que l’on voit actuellement constitue « un outrage à notre environnement », et promis de « trouver des solutions techniques », en définissant des normes de contraste, d’intensité lumineuse, qui la rendront acceptable (c’est d’ailleurs ce qu’il répète depuis octobre 2017). Sachant qu’au niveau national, depuis 8 ans on attend le décret établissant des normes techniques pour les panneaux numériques, espérer y parvenir à Troyes était une gageure… ou une pirouette ? Car évidemment, il n’y a rien à ce sujet dans le RLP : les publicitaires auraient attaqué le texte, à coup sûr : c’est la grande mode en ce moment…
Mais il n’y a rien non plus dans le cahier des charges du futur contrat de concession du mobilier urbain : aucune limite n’est posée par Troyes, ni pour l’éclairement, ni pour la consommation des panneaux. Là encore, les faits viennent contredire le discours !
 
Et il y a encore pire dans ce cahier des charges : si le publicitaire le souhaite, la Ville propose d’installer des caissons numériques sur deux abribus (en remplacement de deux sucettes). Notre campagne de juin dernier était plutôt bien sentie, malheureusement !
 
 

En bref

 
Troyes va faire installer des sucettes numériques de 2 m² à au bord des voies les plus passantes, en plein site classé, et même sur des abribus, sans poser de limite aux nuisances visuelles ni aux consommations électriques des panneaux.
Ca ne fera qu’augmenter la pollution lumineuse, le gaspillage d’énergie, la dénaturation du patrimoine³, et surtout la pression publicitaire qui s’exerce sur les Troyens et les visiteurs. Après avoir loupé le coche avec son RLP, Troyes se trompe encore de progrès. Le vrai progrès, c’est celui qui permet l’amélioration de nos conditions de vie à tous, la préservation des biens communs que sont la biodiversité, l’énergie, la santé, le patrimoine culturel…
Caramba ! Encore raté !
 
 
 
 
¹ Voici un tableau tiré du cahier des charges, qui met en parallèle les mobiliers existant et les dispositifs attendus :
Détail du Mobilier attendu Existant Attendus
Abris voyageurs 158 points d’arrêt 189 abris, correspondant à 149 points d’arrêt
Mobiliers urbains d’information de 2 m² 78

70

Mobiliers urbains d’information de 8 m² 30 30
Mobiliers urbains d’information numérique de 2m² 8
Journaux électroniques d’informations (JEI) 6 6
Colonnes d’affichage 3 8
Cabines sanitaires PMR 3 2
 
 
² Les dispositifs régulièrement en infraction étaient les trois sucettes implantées autour de l’Hôtel de Ville, et celle installée devant la Préfecture, comme le montrent ces photos.
 
³ Détail savoureux du texte : « L’affichage réalisé par le concessionnaire devra participer à l’animation et au dynamisme du paysage urbain [= la pub, c’est joli]. Pour cette raison, les visuels publicitaires présents sur les mobiliers devront être régulièrement changés [= un coup big Mac, un coup frites, un coup Heinekein, sinon on risque de se lasser] » !

oui oui, nous sommes juste au pied de la cathédrale !

 
 
 

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  1. […] vous en parlions il y a près d’un an après avoir découvert de manière fortuite le cahier des charges de la […]

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